Lettre à Brenda Biya

Publié le 10 juillet 2024 à 12:10

Chère Brenda Biya,

Tout semble nous opposer. Vous, fille du président, et moi, fille de parents qui étaient à peine capables d'écrire leurs noms, vous, dont la naissance a suscité l'émotion de tout un pays, et moi qui n'étais presque pas attendue. Mais il me semble que nous avons tout en partage : notre âge, notre mémoire historique et notre pays, le Cameroun.

 

 

Cette angoisse est proportionnelle à l'inquiétude des jeunes Camerounais, issus de milliers de familles oubliées, face à leur avenir. Ces enfants des familles négligées, dès leur septième année, se promènent dans les rues de Yaoundé, Douala et Bafoussam, trempés par la pluie, le soleil et le vent. Ils espèrent écouler la moitié des sachets d'eau sur leur tête, ce fardeau dont la pesanteur a déformé leur colonne vertébrale.

Chère sœur, je remarque, sans surprise, votre voix et votre capacité à défendre les causes qui vous sont chères et qui sont humaines. Il n'y a pas de négociation possible pour le droit à la liberté, disons-le simplement. Cependant, mon imagination quelquefois bordélique et débridée me questionne sur les raisons de votre silence face aux douleurs des jeunes citoyens ordinaires, embrigadés dans le couloir de la pauvreté, celles et ceux-là qui bavent devant chacune de vos photos, chacune de vos perruques dont une seule mèche achèterait leur repas du mois entier. Je vous parle des jeunes filles du Cameroun, de notre génération commune, qui, sorties de l’ENIEG et des écoles d’infirmiers, vont travailler comme vacataires pour  trente mille FCFA (cinquante dollars) le mois dans des écoles construites en lambris au plus profond des villages non desservis. Je fais référence à celles de notre âge qui perdent la vie par césarienne car elles ne bénéficient ni de l'éducation pour la contraception, ni de l'accès aux soins médicaux.

Brenda, l'enfance n'est pas une durée infinie. À quelques années près de 30 ans, ou à la trentaine éclatante, on se projette dans l'idée que nos enfants auraient au moins dix ans si nous avions entamé vite notre parcours vers la maternité dès le début. Dans quel Cameroun seraient-ils destinés à grandir ? Celui dont les routes engloutissent les citoyens ou celui qui ne fournit pas l'éducation gratuite ? Celui qui n'a jamais tenu ses États généraux et dont l'histoire s’effrite comme une vieille peinture ?

Notre cher Cameroun, malgré ses allures continentales, va mal. Je vous invite à user de votre voix pour faire entendre celles des jeunes Camerounais mal-aimés, pour qui manger un morceau de maquereau frais reste un souvenir lointain, d'autant plus que vous profitez directement de ce qui nous est dû à tous.

Nous (vous et les méprisés de la République) sommes tous les enfants légitimes de cette Nation. Celles et ceux qui ont été relégués aux rangs de bâtards débordent de frustration. Nous sommes expropriées dans nos quartiers dits marécageux, nous sommes devenus des enfants du choléra, de la dysenterie, de la fièvre typhoïde, nous n’avons ni eau, ni électricité, même nos tombes nous vomiront à notre mort parce que vivants, notre dignité et notre humanité ont été violées et pillées.

Chère Brenda, est-ce que vous comprenez vraiment ce que signifie partir de rien ? Est-ce que vous savez ce que signifie affronter le monde sans moyens et sans outils ? Saviez-vous qu’actuellement, à l’heure où toi et moi faisons de longs discours, valorisant nos égos, un enfant est entrain de mourir de paludisme au Cameroun ? Contrairement à vous, je, tout comme les gens ordinaires, sais ce que cela implique de vivre avec moins de cinq cents francs (moins d'un dollar) par jour. Et j'ai toujours interprété votre gabegie assumée comme une insulte à l'égard des pauvres gens, nous. Nous sommes Bayam sellam, chauffeurs, dames de ménage, bénévoles pour des causes communes. Et vous, quel est votre métier ? Fille de président n’est sans doute pas un emploi.

Terminé le temps des excuses. Nous sommes tous des enfants mal-aimés, avec nos peurs, nos fantômes, nos traumatismes. Nous tous sommes peinés dans ce pays-là, et vous au moins pouvez voir un psychologue. Quel privilège dans un pays où rencontrer un généraliste coûte la ration alimentaire d’un mois entier ?

Chère sœur, je vous demande de réaliser la douleur des Camerounais ordinaires et de vous joindre aux voix de millions de citoyens qui ne demandent qu’à vivre dans un pays de droit. Nous ne supportons plus vos vestes à milliers de FCFA, alors que nous n'avons pas de route. Nous payons nos impôts, pourtant !

Je vous invite à nous rejoindre sur le terrain, à user de votre voix puissante et importante pour sauver notre pays qui n’attend que nous, enfants de la Nation, pour lui donner un visage nouveau. En plus de vos propres luttes, mêlez votre voix aux nôtres pour sauver l’éducation, la santé, la liberté dans son sens plus large, pour le rayonnement de ce pays qui nous est cher.

        Votre sœur née dans d'autres conditions que vous, mais Camerounaise autant que vous.

 

                       ERNIS

 

 

 

 


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Commentaires

Rodrigue MBIDA
il y a 2 mois

Merci pour ces mots aussi doux que poignants! J'aime cette lucidité cachée dans tes mots, Ernis....
Jeunes et forts...
Nous le sommes!
Droits et devoirs;
Nous incombent!

Kenne
il y a 2 mois

Très pertinent 👌🏾👌🏾👌🏾